La lettre des compléments alimentaires #8 - février 2024

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Pour cette huitième édition, Thierry Souccar, journaliste scientifique, auteur de plus de 20 livres de vulgarisation scientifique, dont le livre de référence Arrêtons de saboter notre immunité, nous éclaire sur cinq études scientifiques qui redéfinissent notre compréhension de la nutrition. À découvrir également : un zoom sur la tyrosine, un acide aminé peu connu du grand public.

Vous lisez la lettre des compléments alimentaires de février 2024.

 

LES NOUVELLES ÉTUDES

 

Étude 1 : Prendre un complément de multivitamines peut ralentir le vieillissement cognitif de 2 ans.

Intégrer une simple multivitamines/multiminéraux à votre mode de vie pourrait sauver le cerveau du vieillissement. L’analyse poussée de l’essai contrôlé et randomisé baptisé COSMOS montre que la prise de multivitamines donne des résultats très intéressants pour freiner le déclin cognitif. L'étude, publiée dans The American Journal of Clinical Nutrition, a utilisé des évaluations neurologiques détaillées chez 573 participants et une méta-analyse portant sur trois sous-études : COSMOS-Clinic, COSMOS-MIND et COSMOS conduites auprès d'environ 5 000 personnes. Il s’agissait d’évaluer l'efficacité clinique des multivitamines sur la cognition. Les résultats ont démontré un bénéfice modeste mais significatif des multivitamines sur la cognition globale et la mémoire épisodique après deux ans, équivalents à une réduction potentielle du vieillissement cognitif de deux ans.

Vyas CM et al. Effect of multivitamin-mineral supplementation versus placebo on cognitive function: results from the clinic subcohort of the COcoa Supplement and Multivitamin Outcomes Study (COSMOS) randomized clinical trial and meta-analysis of 3 cognitive studies within COSMOS. Am J Clin Nutr. 2024 Jan 18:S0002-9165(23)66342-7.

 

Étude 2 : Les antioxydants aident à préserver la vision

La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) est une maladie du fond de l'œil qui survient chez les personnes de plus de 50 ans. Les antioxydants peuvent prévenir les dommages cellulaires de la rétine en neutralisant les radicaux libres produits lors du processus d’absorption de la lumière, ou générés par le mode de vie. Pour en être sûrs, des chercheurs du groupe Cochrane ont analysé les résultats de 26 essais contrôlés randomisés (ECR) comparant une supplémentation en vitamines ou minéraux antioxydants à un placebo ou à l'absence d'intervention, chez des personnes atteintes de DMLA. Ces études ont porté sur 11 952 personnes âgées de 65 à 75 ans.

Conclusion : Une supplémentation en vitamines et minéraux antioxydants (le plus souvent : vitamines C, E, bêta-carotène et zinc) ralentit probablement la progression vers une DMLA tardive. Les personnes atteintes de DMLA intermédiaire ont plus de chances de bénéficier de suppléments d’antioxydants car leur risque de progression est plus élevé que les personnes atteintes de DMLA précoce. L’association des deux caroténoïdes lutéine/zéaxanthine pourrait remplacer le bêta-carotène utilisé dans la formule originale de l’essai clinique AREDS.

Evans JR, Lawrenson JG. Antioxidant vitamin and mineral supplements for slowing the progression of age-related macular degeneration. Cochrane Database Syst Rev. 2023 Sep 13;9(9):CD000254.

Étude 3 : Les suppléments d’huile de poisson pourraient réduire le risque de Parkinson

Une étude prospective portant sur 385 275 participants à la biobanque britannique, a collecté des données sur leur activité physique et leur usage de suppléments d'huile de poisson.

Résultats : au cours d'un suivi médian de 12,5 années, 2 131 participants ont été victimes d'une maladie de Parkinson. L'analyse a montré que les utilisateurs de suppléments d'huile de poisson présentaient un risque de maladie de Parkinson plus faible que les autres (-11%). Les personnes pratiquant l’exercice physique avaient aussi un risque réduit, mais dans une moindre mesure.

Conclusion : L'utilisation d'un supplément d'huile de poisson et la pratique de l’activité physique étaient associées à un risque réduit de Parkinson, et l'effet de l’activité physique sur la réduction du risque était plus prononcé lorsqu’un supplément d'huile de poisson était aussi utilisé.

Lin F, et al. Fish oil supplementation, physical activity and risk of incident Parkinson's disease: results of longitudinal analysis from the UK Biobank. Front Aging Neurosci. 2024 Jan 29;15:1304629.

Étude 4 : Le microbiote intestinal serait sensible aux suppléments de vitamine D et sels minéraux

Le microbiote intestinal est une communauté de micro-organismes habitant les intestins, pouvant potentiellement influencer les processus physiologiques et physiopathologiques du corps humain. Le microbiote est notamment impliqué dans la régulation de l’inflammation, l’immunité, l’humeur.

On sait que les fibres alimentaires peuvent influencer la modulation du microbiote intestinal. Mais la supplémentation en vitamines et minéraux pourrait elle aussi agir par modification épigénétique. Pour les auteurs de cet article, des suppléments de vitamine D, fer, zinc et magnésium en correction de déficits réels ou potentiels, peuvent avoir un effet bénéfique pour diminuer l’inflammation, réduire le stress oxydatif et améliorer l’état du microbiote intestinal grâce à divers mécanismes épigénétiques. Ces interactions pourraient jouer un rôle crucial dans la santé systémique.

​Ferenc K, et al. Modulation of the Gut Microbiota by Nutrition and Its Relationship to Epigenetics. Int J Mol Sci. 2024 Jan 19;25(2):1228.

Étude 5 : Le potassium, ce minéral oublié mais crucial

Pour prévenir les maladies cardiovasculaires, il faudrait réduire les apports en chlorure de sodium et augmenter ceux de potassium. Mais si les conseils officiels insistent sur la diminution de la consommation de sel, ils sont discrets sur la question du potassium.

Pourtant, augmenter la consommation de potassium réduit la pression artérielle et atténue les effets hypertenseurs d'un apport excessif de sodium, et le récent grand essai clinique SSaSS de phase III a montré une diminution du risque d’accident vasculaire cérébral chez les personnes consommant beaucoup de sel et peu de potassium, dès lors qu’elles diminuaient le sel et augmentaient le potassium. D’autres études ont montré que les suppléments de potassium rétablissent l’équilibre acido-basique et diminuent la perte osseuse.

Les principales sources d’apport en potassium comprennent les fruits, les légumes, les noix et les légumineuses ; un apport plus élevé de potassium peut donc être associé à des habitudes alimentaires saines. L’augmentation de l’apport en potassium par l’alimentation ou la supplémentation pourrait, disent les auteurs de cet article, représenter une stratégie alimentaire plus avantageuse pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Les recherches futures devraient se concentrer sur l'effet de la supplémentation en potassium dans les populations ayant un apport faible ou modéré en potassium.

O'Donnell M, et al. Potassium intake: the Cinderella electrolyte. Eur Heart J. 2023 Dec 14;44(47):4925-4934.

FOCUS : La tyrosine, un anti-stress peu connu

Illustration

 

L’acide aminé L-tyrosine est probablement l’une des substances naturelles les plus étudiées pour sa protection contre les effets du stress sur les capacités cognitives.

La tyrosine est l’un des constituants des protéines alimentaires. On peut aussi la consommer sous la forme de complément alimentaire.

Les cellules nerveuses l’utilisent pour fabriquer deux neurotransmetteurs d’une importance majeure, la dopamine et la noradrénaline, qui appartiennent à la famille des catécholamines. La dopamine est le neuromédiateur associé à la motivation et au plaisir. La noradrénaline, à laquelle elle donne naissance, est impliquée dans les réactions de stress, dans la vigilance et l’attention.

Comment la tyrosine donne naissance à dopamine et noradrénaline

Comment la tyrosine donne naissance à dopamine et noradrénaline

Comment agit la tyrosine ?

En situation de stress, l’activité des catécholamines dans le cerveau et leur taux de renouvellement sont accélérés. Dans une situation stressante en effet, les neurones noradrénergiques (ceux qui synthétisent, stockent et utilisent la noradrénaline comme neurotransmetteur) sont sollicités de manière excessive. Si le stress se poursuit, on constate une diminution des niveaux de dopamine et de noradrénaline qui se traduit par une baisse des capacités cognitives et de la vigilance ; un stress prolongé conduit à un épuisement des neurotransmetteurs, qui peut mener à la dépression.

Dans les années 1980, des chercheurs ont donc voulu savoir si la tyrosine, en assurant une bonne synthèse de dopamine et de noradrénaline peut contrer certains effets du stress.

Ils l’ont d’abord administrée à des animaux avant de les exposer au stress ; ils ont montré que la tyrosine inverse l’épuisement des neurotransmetteurs et surtout prévient la diminution des performances.

De là, on est passé à des études chez l’homme, qui ont cherché à répondre à deux questions :

- la tyrosine peut-elle soutenir les efforts d’endurance en maintenant le niveau de dopamine nécessaire à la motivation en cas d’effort prolongé ?

- la tyrosine peut-elle soutenir les fonctions cognitives, qui se dégradent en situation de stress ?

Tyrosine et exercice

Les études sur la tyrosine et l'exercice physique se sont principalement concentrées sur les exercices d'endurance. Les études qui ont examiné les effets de la prise de tyrosine sur la performance n’ont généralement pas trouvé de bénéfice, même si certains essais ont été positifs. La tyrosine a aussi été testée dans des conditions de stress physiologiques, comme la grande chaleur, mais là encore, les résultats sur les performances étaient très divergents.

Tyrosine et capacités cognitives en cas de stress

Les études sur les capacités cognitives, au contraire, ont montré que la tyrosine améliore systématiquement la mémoire et d’autres paramètres de l’organisme soumis à un stress. La tyrosine a souvent été testée dans des conditions de température extrême (hypothermie).

Par exemple, lorsqu’on soumet expérimentalement des hommes au froid et au manque d’oxygène, des suppléments de tyrosine réduisent les maux de tête, la tension et la fatigue et limite la baisse de la vigilance, de la mémorisation, du temps de réaction et des capacités mentales.

Dans une autre étude contre placebo, la tyrosine a amélioré les fonctions cognitives chez des volontaires qui s’acquittaient d’une batterie de tests (très sensibles au stress) tout en étant exposés à un bruit continu de 90 décibels.

Tyrosine et capacités cognitives en l’absence de stress

Il est intéressant de noter que la tyrosine peut améliorer ou soutenir les capacités cognitives en l’absence de stress, lorsque le challenge mobilise les ressources cérébrales comme s’il s’agissait d’un stress. Par exemple dans une étude qui faisait appel à des multitâches, la tyrosine a amélioré la mémoire de travail parce que les exercices mentaux auxquels étaient soumis les volontaires sollicitaient plusieurs fonctions cérébrales en même temps. Il n’y avait donc pas de stress au sens biologique du terme, mais une telle demande cérébrale qu’elle pouvait s’apparenter à un stress. Les étudiants, les pilotes d’avion, peuvent se retrouver dans ces conditions, et la tyrosine peut être utile.

 

Tyrosine et humeur

Sachant que le stress, en diminuant noradrénaline et dopamine expose à des troubles de l’humeur, des études ont cherché à savoir si des suppléments de tyrosine peuvent inverser ce type de baisses de l’humeur.

Une étude conduite en Antarctique, dans une situation de températures basses et d’isolement a montré que la tyrosine améliore l’humeur, mais seulement en hiver, quand les conditions les plus rudes sont réunies. Il faut noter que la tyrosine ne semble pas améliorer l’humeur de personnes non soumises à un stress.

Ces résultats, avec d’autres, indiquent que les suppléments de tyrosine peuvent être bénéfiques à l’humeur, mais seulement en période de situations stressantes.

 

Conclusion

Les suppléments de L-tyrosine peuvent se révéler utiles pour soutenir les capacités cognitives la mémoire et l’humeur en situation de stress. Ils peuvent aussi aider à accomplir des tâches simultanées et complexes. Dans les études, les doses utilisées sont de l’ordre de plusieurs grammes (100 à 150 mg/kg) mais il est possible d’observer des effets positifs à des doses plus faibles, de l’ordre de 1 à 2 g. À doses très élevées peuvent apparaître insomnie, irritabilité, hypertension.

Les suppléments de tyrosine sont déconseillés en cas de traitement antidépresseur aux IMAO, migraines, hypertension, maladies cardiaques, cancers, grossesse, allaitement. Consulter un professionnel de santé.

Sources : 

Jongkees BJ et al. Effect of tyrosine supplementation on clinical and healthy populations under stress or cognitive demands--A review. J Psychiatr Res. 2015 Nov;70:50-7.

Bloemendaal M, Froböse MI, Wegman J, Zandbelt BB, van de Rest O, Cools R, Aarts E. Neuro-Cognitive Effects of Acute Tyrosine Administration on Reactive and Proactive Response Inhibition in Healthy Older Adults. eNeuro. 2018 Apr 30;5(2):ENEURO.0035-17.2018. doi: 10.1523/ENEURO.0035-17.2018. PMID: 30094335; PMCID: PMC6084775.

Tumilty L, Davison G, Beckmann M, Thatcher R. Oral tyrosine supplementation improves exercise capacity in the heat. Eur J Appl Physiol. 2011 Dec;111(12):2941-50. doi: 10.1007/s00421-011-1921-4. Epub 2011 Mar 25. PMID: 21437603.

Sutton EE, Coill MR, Deuster PA Ingestion of tyrosine: effects on endurance, muscle strength, and anaerobic performance. Int J Sport Nutr Exerc Metab 2005; 15(2): 173–85.

Struder HK, Hollmann W, Platen P, Donike M, Gotzmann A, Weber K Influence of paroxetine, branched-chain amino acids and tyrosine on neuroendocrine system responses and fatigue in humans. Horm Metab Res 1998; 30: 188–94.

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